« Alors ? Elle vous plaît
notre région ?!... ». C'est la question que Pascal nous
posait alors que nous buvions un verre en terrasse, un de nos jours
de relâche. Et vraiment, je me suis demandé ce que je pouvais bien
répondre à ce pauvre Pascal. On sentait d'emblée que lui, il
l'aimait fort son pays de Limoux : sa douceur, ses joueurs de
pétanque, ses petits vieux sous les platanes, son carnaval, ses
petits commerces, sa blanquette, son « Toques et Clochers »...
Oui, vraiment, j'étais embarrassée, car quelle part de mon identité
fragmentée et névrosée devait donc répondre à l'enthousiasme
confirmé de Pascal ? N'allais-je pas, une fois de plus, me
montrer blessante par une réponse honnête mais à l'enthousiasme,
disons... Euh... Comment dire... Euh... Les mots me manquent...
Tiède ??? Je tentais donc une réponse « tiède »,
me rappelant qu'ici en France on pouvait apprécier une réponse
aussi « Chiraquienne » que « je ne suis ni pour, ni
contre, bien au contraire », et, en outre, qu'une part de moi
étant définitivement marquée par le compromis et le surréalisme à
la belge, une réponse toute en nuance devait donc être à ma
portée... Ni froid, ni chaud, décidément « tiède » me
rappelait au climat tempéré d'où je suis issue. Je répondais
prudente...
« Écoute... Je suis partagée...
Oui, oui, c'est une très belle région... Les paysages sont très
jolis... La vigne... Les montagnes... La mer pas loin... La cité de
Carcassonne... Les châteaux cathares... Les rivières... Tout
ça, tout ça...». Mon interlocuteur se détendait, je marquais des
points... J'enchaînais : « Mais... Je m'inquiète de
l'inertie du secteur... Nous venons de jouer, et nous peinons à
remplir notre chapiteau... Dans une ville de 10000 habitants, cela
m'inquiète et me désole... De plus, nous jouons en accès libre, ce
qui ne suppose aucun engagement, ni aucune prise de risque pour
personne ?!... ». Pascal répond : « Ah bon ?
Vous avez joué ? Mais où... Quand ? ». Face à mon
silence dépité, il ajoute timidement : « Ah, c'est
vous... Les roulottes à l'Espace Ruffié? ». Je me dis en
moi-même que décidément je ne dois pas encore crier assez fort
quand nous passons dans la ville tout les jours (entre autre juste
devant la vitrine du commerce de Pascal) en hurlant que nous y
sommes, en précisant à tue tête les heures, la nature du
spectacle, son accès libre et le lieu précis où nous nous
trouvons... Je me dis aussi que nos deux mille Gazette distribuées
dans les commerces locaux et sur les marchés ne doivent pas suffire
non plus, que peut-être aussi il serait bon de peindre nos roulottes
en rose bonbon car nous sommes sûrement trop discrets. C'est vrai
que nos amis d'« Ici et là » (restaurant à Limoux) nous
ont informé qu'un voisin, habitant juste en face de là où nous
jouions, n'avait compris qu'à la fin de notre série que nous étions
une troupe de théâtre... Je me demandais pourquoi le fait de ne pas
savoir de quelle nature était notre travail l'avait empêché de
traverser la route et de faire 20 mètres pour venir s'informer...
Peut-être la peur ? Peut-être une curiosité et un intérêt
trop... Euh... Comment dire... Les mots manquent... Tiède ?
Je me demandais aussi si la presse (L'Indépendant) qui nous avait promis de nous
envoyer un correspondant, et qui, au final, n'a rien publié du
tout (le correspondant n'est jamais venu et n'a jamais appelé!) si,
cet intérêt... Euh... Comment dire... Les mots me manquent...
Tiède ?... De la presse locale sur Limoux n'avait pas pu
contribuer à nous rendre la tâche encore un peu plus compliquée. Je continue à déplorer que les journalistes ne se déplacent pas pour venir voir le travail fait et réalisé. (un seul journaliste sur trois tournées qui malheureusement n'écrira rien sur notre spectacle car nous allions partir en dehors de son secteur). Je me posais aussi la question de savoir quelle était la part de
responsabilité de la personne en Mairie à qui nous avions demander
de faire suivre l'information via les panneaux lumineux de la ville
et qui nous avait répondu oui, mais qui finalement et
vraisemblablement ne savait pas sur quel bouton appuyer pour publier
le petit texte que nous avions écrit, car j'ai eu beau regarder les
panneaux, l'information sur notre présence ni est jamais
apparue ?!... Alors c'est vrai, que comme me l'ont suggéré mes
amis d' « Ici et là », une banderole supplémentaire
avec écrit en grand dessus, mais alors en très, très grand
« THEATRE DEAMBULATOIRE », pourrait être envisagée et
nous allons encore une fois sortir les sous sous de la popoche pour
la financer très vite... Mais je ne sais pas pourquoi, mon petit
doigt me dit qu'elle ne suffira pas, voir même, qu'elle s'avèrera
parfaitement inutile à nous remplir les chapiteaux... Car sur
Limoux, alors que nous nous attendions à avoir un public nombreux,
nous avons du annulé une représentation sur huit, et rempli
péniblement des moitiés de chapiteaux et cela malgré le bouche à
oreille efficace de notre public... Un bilan donc... Comment dire...
Les mots me manquent... Euh... Tiède ?
Outre les pertes financières que cela
engendrent, tout cela amène stress, tensions, fatigue, tristesse,
découragement dont il faut encore se départir pour pouvoir
continuer à faire notre travail correctement, à savoir, jouer .
(Oui, oui jouer est un travail!). Car en réalité, aujourd'hui,
nonante pour cent de notre temps (oui, là je dis nonante !!!)
est non payé et est employé aux multiples démarchages pour la
communication, il nous reste donc 10 % pour, créer autre chose (sans
avoir de lieu de résidence, sans aucun moyen financier et avant la
prochaine période d'élection ou en France, tout sera à nouveau
bloqué pour approximativement 1 an) et bien sûr, il faut aussi sur
ces 10% de temps, nous occuper de nos enfants qui partagent
l'aventure avec nous. Il faut encore, puisque nous jouons en famille
pouvoir protéger nos enfants de cette cruelle réalité qui nous use
et nous malmène et ainsi espérer faire rêver... Mais bon, comme on
nous le rappelle souvent NOUS NOUS sommes responsables de nos propres
choix. (Pouvons-nous donc nous plaindre, mes enfants, eux, se
plaignent de plus en plus mais c'est normal ils ne sont pas encore
responsables.)
Car il faut faire rêver... Ça, le
public s'en rend bien compte! Car le public en ce qui nous concerne
est très généreux: nos chapeaux équivalent souvent à un prix
payé en billetterie (la place entre 7 et 8euros). Le travail quand
il est là, s'avère toujours payant. Ceci pour répondre aux gens
qui nous suggèrent souvent de faire payer l'entrée et nous
présentent cette solution comme LA solution miracle. Une fois pour
toute, cela s'avère être un mauvais calcul, et nous pouvons parler
d'expérience (Ayant joué une centaine de fois, on peut, sans être
orgueilleux, parler d'expérience)... Le public, quand il est là, se
montre... Comment dire... Euh... Les mots me manquent... Euh...
Chaleureux? (Pas tiède quoi!)... Et grâce à l'accès libre, ce
public est infiniment reconnaissant d'avoir été « libre »
justement. Alors vraiment à Limoux et face à toutes les difficultés
que nous rencontrons pour le moment la part de mon identité
« Cléopâtresque », mise habituellement en veilleuse par
cette autre fragment identitaire « Mère Thérésatesque »,
cette part donc, s'est sentie soudainement des envies de parler et
elle hurle sans cesse que « Limoutarde lui monte au nez! ».
Quelques idées fulminantes, je le
crains bien, pour calmer la Reine (du tiède ça n'ira pas), et je
préviens les plus radins, il va nous falloir les moyens: Les
prochains dépliants pourraient être balancés sur la population
part voie d'hélicoptère et cela à 100000 exemplaires pour une
population de 10000 habitants (Comptez en communication : 2% de
réponses). On pourrait aussi envisager une participation des
pompiers et du Samu pour soutenir, par leurs sorties intempestives,
ma voix puissante mais qui ne suffit pas à faire entendre notre
présence (ceci offrirait l'avantage d'éviter quelques unes de leurs
sorties pendant que nous jouons), on pourrait aussi utiliser les
facultés naturelles d'Erwenn et son énergie débordante pour
l'armer vraiment (enfin !!!) d'une arme blanche et menacer les
petits vieux qui passent à venir de force dans notre chapiteau (on
s'occupe ensuite de les détendre par le caractère comique de notre
spectacle), quant à la banderole supplémentaire, je suggère une
banderole de 20 mètres de long sur 3 mètres de large tirée par
l'hélicoptère cité plus haut. En outre, nous pouvons également,
en plus des dépliants et des sets de table (tout nouveaux)
actuellement distribués dans les commerces, nous pouvons fournir des
figurines crées en Chine, figurines de nous en latex souple (nous
sommes très souples),et, comme nous n'hésitons pas à faire
travailler nos propres enfants, cela sans les payer bien sûr, (ce
n'est pas de l'exploitation, c'est un manque de moyen), nous ne
voyons aucun problème pour que les figurines soient peintes par les
petits enfants chinois, nous pouvons aussi sortir des T-shirts avec
nos minois dessus, ainsi les gens qui trouvent souvent que notre
affiche est belle mais qui pourtant ne viennent pas au spectacle
pourraient enfin nous porter fièrement sur leurs torses bombés et
ainsi participer à moindre coût à nos multiples efforts de guerre.
S'agissant d'ailleurs d'une guerre, nous pourrions préparer avec nos
amis du « Chapeau rouge », « Les frères
locomotives », et puis tout ceux qui le veulent (intermittents,
cheminots, syndicalistes, chômeurs, mères et pères isolés,
travailleurs précaires, commerçants mécontents,consommateurs au
pouvoir d'achat diminué, femmes voilées ou non, femmes violées ou
pas, ...), nous pourrions préparer un putsch local et armés de tout
le brillant de nos costumes (de fête, du dimanche, d'ouvrier, de
travailleur,d'apparat, de moine et de curé...), tirer à boulets
rouges des tonnes de... Euh... De... De gelée de confiture non-bio
et d' hamburgers de chez Mc Do sur le pouvoir en place (je propose
stratégiquement, de commencer par les bureaux de mairie et
d'enchaîner avec la presse, car cette dernière... n'aura pas manqué
de se déplacer pour couvrir l'événement d'abord!). Si on pouvait
faire un détour ensuite vers l'aire de stationnement des
camping-caristes car y'en a certains qui n'ont pas bien compris le
concept de propriété commune et ils chassent sans vergogne tout ce
qui se comporte différemment (merci aux policiers de Limoux qui se
sont montrés très bienveillants, oui, les policiers peuvent être
bienveillants parfois, on pourra rester encore une semaine)...
Ensuite, je propose d'armer, tout ceux qui participent à la lutte, de
petites bombes de gaz hilarant et de tirer sans sommation sur tout
employé de poste, inspecteur d'académie, professeur, secrétaire de
mairie, où comédien qui fait la gueule, … Ah! Non... Merde... Ça
c'est moi !... Et oui...
Prise dans mon rôle «
Cléôpatresque », j'avais oublié un instant qui j'étais
vraiment ( mais n'est ce pas là le danger du pouvoir?), et la
moutarde me montant au nez, j'avais oublié cette part de moi engagée
résolument dans la paix, et malgré les soucis et malgré mon
irritation, ce soir là, je regardais Pascal et je conclus en
souriant : « Oui, Limoux, c'est une belle région
vraiment, sa douceur, ses joueurs de pétanque, ses petits vieux sous
les platanes, son carnaval, ses petits commerces, sa blanquette, son
« Toques et Clochers », tout ça, tout ça... »
« Tiède »: me direz-vous?
Pour quelqu'un qui aime la paix, il vaut mieux "tiède" que " froid ", je réponds. Car la vengeance est un plat
qui se mange « froid », et croyez-moi qu'accompagnée de
moutarde ou non, la vengeance reste la vengeance, la guerre reste la
guerre, et le pouvoir, aussi petit soit-il, est rarement utilisé
dans l'intérêt de tous. Non, décidément ma liberté réside
seule dans ma liberté d'expression et mes costumes à moi sont
réservés à l'usage de la scène pour le bonheur des uns et des
autres (même celui des camping-caristes emmerdeurs!). Je ne suis pas
née Reine, je suis née comédienne. Alors Oyez ! Oyez !
Venez nombreux à
Albas les 5 et 6 juillet, car le courage on l'a, c'est du public
qu'il nous faut !!!