Je me demandais pourquoi l'on concluait
par « courage! », chaque fois que je répondais aux
multiples questions que l'on me posait concernant notre mode de vie.
Je pensais et concluais en riant par cette affirmation : « Oh !
Du courage, nous n'en manquons pas, c'est du public qu'il nous
faut! ». Mais ici, j'avoue que sur le site de « Tridôme »
à Carcassonne, le courage commence à vaciller, le chapiteau
aussi...
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Xavier en caleçon essaie d'attirer l'attention, on n'a pas de public... |
Car si dès notre arrivée, nous fûmes
surpris par l'extrême chaleur (40° et pas un souffle de vent), la
suite, allait encore nous réserver quelques petites joies...
Nous nous installons donc sans traîner,
en vue de commencer notre série de représentations, et nous
observons, curieux, la « ferme Pinocchio » installée
tout à côté. Nous nous arrangeons avec eux, pour brancher à la
hâte le tuyau d'eau et le câble électrique sur leur installation,
nous irons rencontrer le gérant de »Tridôme » le
lendemain pour voir ce qu'il est possible de faire pour notre
installation qui durera deux semaines. Le lendemain, Juliana fera une
entrée franche dans notre roulotte familiale.
Juliana est une femme d'âge mûr, les
cheveux longs et foncés, la peau basanée et tannée par le vent et
le soleil, le regard lumineux et franc, elle est habillée d'un jeans
et de bottes de cuirs, elle porte un t-shirt blanc à motifs. Je
pense « cette femme est très belle », elle dit :
« Je voulais voir la roulotte quand-même, il fallait que je
vois la roulotte, ma mère vivait dans une roulotte comme
celle-là,.. ». Elle enchaîne en me posant de multiples
questions: « Et les enfants y dorment où,... Ah ?
Et alors, vous, vous dormez dans une autre roulotte ?... ».
Voyant ma fille Ysaline, elle continue en lui disant : « Et
toi, toi, t'as une belle vie, hein ?!.. ». Ma fille la
regarde sans répondre, Juliana insiste : « C'est
chouette, hein, le voyage? ». Ma fille ennuyée ne sait que
répondre. Juliana me regarde perplexe. J'explique doucement que ma fille a 15 ans, qu'elle souhaite
partir et continuer une formation dans une école, qu'elle souffre
parfois de rester avec ses parents et sa famille... Juliana s'adresse
alors à Ysaline : « Mais tu as à peine 15 ans, tu n'es
pas prête pour partir, chez nous, chez les Manouches, la fille ne
peut pas fréquenter un garçon avant 18 ans, et le garçon doit
demander au père la permission de fréquenter la fille, quand il a
eu l'autorisation, il devra encore attendre trois ans pour pouvoir
vivre avec la fille, et toi, tu veux partir! Moi, mon fils il ne veut
pas partir, il est content d'être près de maman... Et tu vas faire
quoi à 15 ans ?... ». Ysaline répond : « Non,
je ne veux pas « partir »,... C'est compliqué... Je veux
continuer ma formation musicale, je veux juste m'éloigner de mes
parents, de ma famille, tout ça quoi... ». Juliana qui a du
mal à comprendre : « C'est ta caravane là ?... Tu
as déjà ta maison ?!!! ».Ysaline s'en va chez elle,
Juliana me regarde : « Elle en a dans la tête, hein !
Elle veut être sédentaire, ça se sent qu'elle veut être
sédentaire... ». J'explique alors à Juliana qu' Ysaline aime
le voyage, mais qu'elle est à un moment de sa vie où elle réclame
plus d'autonomie, de liberté et d'espace personnel, je la rassure en
lui disant qu'elle ne veut pas nous « quitter », mais
qu'elle souhaite « partir » pour respirer. Juliana me
parle alors de sa fille Mireille (qui doit avoir environ 35 ans), de
son gendre et de tout le protocole qu'il a suivi pour fréquenter
Mireille, elle parle aussi de ses deux fils qui doivent tout deux
avoir près de 40 ans, elle me quitte, je la salue, et elle va
rejoindre les siens qui vivent, tous, auprès d'elle. (Les enfants,
le beau-fils, le mari et les petits enfants). Le lendemain, elle
m'invitera à venir visiter ses caravanes (deux énormes camions, une
caravane et de multiples remorques), nous finirons Xavier et moi dans
le camion de Mireille à boire le café préparé par Juliana.
Plusieurs petites choses éveillèrent une émotion étrange en moi :
Alors, que leur journée de travail était finie, tous étaient
pourtant occupés à travailler , les uns changeant une roue, l'autre
refaisant l'intérieur d'une caravane, l'autre encore remettant à
neuf une porte, l'autre ponçant, et tout cela apparaissait comme
l'activité joyeuse d'une ruche, et les abeilles travaillaient en
accompagnant parfois d'une voix forte la sono qui fonctionnait pour
tout le monde, et qui jouait tonitruante « Méditerranéenne... ».
En sirotant mon café, je regardais émerveillée le poisson dans son
petit aquarium posé sur le comptoir du camion de Mireille et je
m'étonnais qu'il puisse survivre au voyage. Mireille souriait et me
dit : « Quand tu bouges, il suffit de mettre l'aquarium
dans l'évier, c'est simple! ». Juliana me montrait tout ce
qu'il était possible de montrer, les tiroirs coulissants, le
chauffage au fuel, la toilette, la douche, la chambre à coucher des
parents, celles des enfants, elle me présenta à ses fils... Et je
finis par les quitter, avec cette émotion particulière qui, elle,
ne me lâchait pas.
Ce soir là, faisant le bilan des
multiples difficultés auxquelles nous étions confrontés cette
saison, je regardais mon compagnon et je dis : « Tu vois,
ils sont beaux, ils sont rayonnants, ils sont joyeux, ils sont
travailleurs, ils semblent n'avoir peur de rien, ils sont
incroyablement forts. Leur force, c'est la famille, leur force, c'est
le clan, où qu'ils aillent ils ne sont jamais seuls, si ils
s'éloignent, ils savent qu'ils ne sont pas seuls, ils ne comprennent
absolument pas la solitude! ».
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Ça y est... La famille pète un plomb... 20H00... Personne. Voilà, j'avais mis le doigt sur cette
émotion, étrange mélange de joie et de tristesse, émotion
mélangée émanant du constat d'être dans un monde où l'on a tout
séparé, la terre qui se donnait pourtant sans partage n'était à
présent plus que frontières et propriétés (publiques ou privées),
on avait séparé les parents des enfants, les vieux des jeunes, le
matériel du spirituel, le corps de l'esprit, la femme de l'homme, la
santé de la maladie, le jeu de l'apprentissage... Les familles se
trouvaient donc décomposées ou recomposées, l'on avait parfois
trouvé sa moitié, l'on travaillait des quarts temps, des mi-temps,
des temps partiels ou des temps pleins, mais jamais l'on était
accomplis, on était juste malade ou en pleine forme, on était
actif ou inactif, et tout les liens subtils unissant les choses et
les êtres disparaissaient progressivement de ce monde désormais
divisé et qui me semblait stéril. On en était réduit à ne
compter que sur soi-même, à prier d'être en bonne santé, à
vieillir en bon état, à gagner suffisamment d'argent pour s'occuper
des enfants, avoir assez de temps pour parler, à s'enfermer « chez
soi »en espérant qu'il ne nous arrive rien, à regarder le
monde abruti sur un petit écran...Même si Ysaline ne comprenait pas ces
façons de voir traditionnelles, et qu'elle aspirait à la liberté
et l'éloignement, à l'autonomie et au détachement, il lui était
difficile de voir à quel point ces gens du voyage étaient libres et
heureux, il était sans doute difficile d'accepter que cette liberté
venait de l'attachement fort au groupe et des comportements qui en
résultaient : la solidarité absolue à l'égard de tous ses
membres et un engagement unanime et sans condition dans l'entraide
nécessaire quand l'on entreprend une vie dans l'improvisation, le
mouvement et le voyage. Il me restait cette question « mais si
toute la vie était un voyage, alors où et qui étaient mes
compagnons de voyage, dans mon monde à moi, façonné par des
décennies de guerres, de jeux de pouvoirs, redessiné sans cesse par
de nouvelles règles, de nouvelles lois, de nouvelles frontières, et
dont la seule chose devenue capitale dans mon monde à moi s'appelait
si justement le capital?». |
Les jours suivants n'allaient
malheureusement pas atténuer cette impression de n'être qu'un poète
au milieu des fous...
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Je m'appelle "Dressée avec le poing"... |
Comme à l'habitude, nous devions
distribuer nos gazettes afin de diffuser l'information sur notre
présence (Xavier joue de l'accordéon et moi j' annonce à la criée
les prochaines dates de notre spectacle). Cette façon de faire à
l'ancienne est souvent bien accueillie par le public... Nous voilà
soudain arrêtés par la police qui nous demande de fournir notre
autorisation, Xavier rigole, il croit à une bonne blague (on ne se
refait pas!), les policiers au nombre de trois nous font vite
comprendre qu'ils ne rigolent pas, et nous précisent que sans la
dite autorisation de la mairie, il ne nous sera pas possible de jouer
de l'accordéon et de faire « la criée ». Xavier tente
d'argumenter, mais peine perdue, nous sommes renvoyés vers la
mairie. Déjà très fatigués, par des démontages et montages
successifs liés aux vents violents sur le secteur, nous nous rendons
fulminants au service de la mairie, nous ne comprenons pas
l'interdiction. Nous sommes reçus par une dame qui ne fait que
répéter qu'il nous faut un arrêté du maire, elle nous « invite »
à écrire une lettre et à l'envoyer à la mairie. Xavier s'énerve :
« Mais, c'est ridicule, nous jouons demain ! Il n'y a
personne qui peut nous faire une signature sur un papier ?... ».
Face au refus de la dame, Xavier tente encore de convaincre par ses
arguments. Peine perdue, la dame répète qu'elle ne peut rien faire
dans notre sens. Elle finit par téléphoner à son supérieur (Chef
de la réglementation sur la ville de Carcassonne). Alors que les
bureaux devraient être fermés, on peut saluer l'effort de ce
fonctionnaire de mairie qui se déplacera tout de même, bravo
Monsieur! Xavier ré-explique la situation
au « Chef », celui-ci confirmera les paroles des
policiers et de la dame, il répétera qu'il fait bien son travail,
travail qui consiste à faire respecter les règlements en vigueur
sur la ville, il rappellera que la ville de Carcassonne étant
classée au patrimoine, toute action doit être préalablement
demandée par lettre à la mairie : « Vous comprenez, ou
sinon, il pourrait y avoir de tout dans nos rues et nous pourrions
être très vite envahis et dépassés ». Xavier sort de ses
gongs, il explique qu'il ne comprend pas comment d'un côté on peut
se plaindre du taux de chômage élevé ici sur l'Aude et de l'autre
côté, on pouvait empêché ou rendre difficile toute initiative,
par ailleurs, il soulignera qu'il n'a vu aucun artiste dans les rues.
Le monsieur apprenant que nous sommes sur le site privé de Tridôme
croira de bon goût d'ajouter : « Le Monsieur de Tridôme
aurait du vous informer de la réglementation liée à la ville, ce
n'est pas la première fois que j'ai affaire à lui, d'ailleurs je
lui ai déjà envoyé une lettre en recommandé pour lui rappeler ses
responsabilités en cas d'accident parce qu'il a le droit de faire ce
qu'il fait, c'est son terrain, mais en cas de problème, il faudrait
qu'il se souvienne de ses responsabilités... Il aurait du vous
informer. » Moi, ahurie : « Ecoutez, je trouve assez
déplacé de jeter la pierre à un monsieur qui a eu la gentillesse
de nous accueillir gratuitement sur son site, qui de plus, nous
fournit l'eau et l'électricité gracieusement, et encore, dois-je
rappeler que si nous sommes là, c'est parce que justement, Madame G.
qui se prétendait compétente comme attachée culturelle pour le
festival d'été sur Carcassonne, nous a lamentablement opposé un
refus et cela après deux mois de négociation, au moment de la
signature de l'engagement celle-ci s'est soudainement rappelé que
nous ne pourrions pas jouer avec notre chapiteau à côté de la
cité... Madame G. avait pourtant notre dossier complet en main, la
fiche technique, et les précisions concernant notre spectacle, c'est
elle même qui avait décidé de nous placer à côté de la cité,
et c'est encore elle qui voulait nous faire un contrat, nous ne
demandions en effet qu'un emplacement pour jouer ! Vous
comprendrez donc que si il y a une pierre à jeter j'aurais plutôt
tendance à la jeter sur Madame G. qui travaillant à la mairie m'a
semblé fort peu compétente ». On aurait pu ajouter face à
l'obstination du bonhomme, que lorsque nous avions retéléphoner à
Madame G. pour, lui exprimer toute notre déception, lui expliquer à
quel point son refus tardif aurait des conséquences négatives sur
notre saison, elle s'était contentée de répondre dédaigneuse :
« Écoutez Monsieur, ici, on est à Carcassonne, et nous avons
à peu près deux milles demandes, donc soyez contents qu'on vous ait
déjà pris quelque chose (nous avons un contrat de 400 euros à
prester sur la cité, le 23 juillet). Nous n'avions donc pas la
moindre excuse, et pas la moindre considération. Face donc au chef
de la réglementation qui n'en finissait plus de répéter à quel
point il faisait bien son travail et qu'il n'était pas responsable
des frasques de Madame G. (ben, voyons!) je me suis contentée
d'ajouter cynique: « C'est vrai, vous faites très bien
votre travail!... Donc, revenons- en à la lettre, expliquez moi bien
ce que je dois faire... » Il voulait nous renvoyer chez nous et
nous la faire envoyer par mail (les bureaux étaient censés être
fermés et le monsieur avait fini de faire son travail depuis 18H00).
J'ai dis : « Ah ! Non, vous êtes là, vous allez
faire bien votre travail, et vous allez me dire tout de suite ce
qu'il faut demander dans le courrier, parce qu'on va le faire tout de
suite!... ». Pris de court et soupirant, il m'indiquait où
m'asseoir et j'écrivis une lettre à l'intention du maire. Nous
aurions la réponse quatre jours après ! (Les bureaux de mairie
ne fonctionnent pas le week-end. Et le vendredi, le Monsieur devait
sans doute être surbooké, c'est vrai, qu'il m'avait rappelé à
quel point les réglementations étaient de plus en plus nombreuses,
alors évidemment, en tant que chef de la réglementation, il ne
devait pas manquer de boulot).
Alors, c'est vrai que le courage vient
à manquer. Qu'après trois jours de guerres incessantes pour lutter
contre le vent et puis la pluie, que dis-je le déluge, après des
jours et des jours de fatigue accumulée, de lutte contre le chef de
la réglementation pour pouvoir distribuer à la criée et en musique
nos dépliants, de désœuvrement lié « au vent » que je
me suis pris en pleine face à « Cultura » face à un
public totalement indifférent, voir ennuyé, ( invitée par le
gérant de Cultura, je chantais la dernière chanson de notre
spectacle dans le cadre de nos démarchages en communication), tout
ces efforts pour pouvoir juste « jouer », quand nous
constations déçus, que nous avions à la première 6 personnes, à
la deuxième 8 personnes, et la troisième 0, la quatrième annulée
car le vent avait soufflé tout le matin pour s'arrêter à 18HOO,
heureusement nous n'avions que 10 personnes... C'est vrai, je
commençais à prendre la pleine conscience de ce que signifiait le
mot « courage », car c'est souvent quand on n'en n'a plus
que l'on sait la rareté d'une chose, et le courage, il faut bien le
dire, vient à manquer, et cela n'est pas compensé par le public,
qui lui, n'augmente pas !
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Après un quart d'heure de défoulement familial, on se prépare au prochain orage... Bref, dans « le vent » de
Carcassonne et alors que ma saison ressemblait à une succession de
petites apocalypses, je me disais que, décidément, la seule chose
apprise cette saison aura été l'humidité... Euh ! Pardon, je
voulais dire l'humilité... |