J'avais hésité longuement sur le fait
de participer ou non à la marche de dimanche, finalement, je décidai
d'y être, espérant pouvoir pleurer avec les autres et me
recueillir tout le long de cette marche qui devait nous rassembler,
nous, humains, juste humains...
Je ne regrette pas d'y être allée
avec mon petit stylo et mon petit carnet de notes (intégrés) car j'y relevai certains paradoxes qui allaient me
permettre d'écrire ce nouvel article. Maheureusement, si mon amour
de l'écriture allait être satisfait par une matière fraîche
apportée sur un plateau, la citoyenne du monde que je suis, n'a pu
trouver dans cette marche l'apaisement aux multiples inquiétudes qui
la taraudent depuis maintenant des mois.
Voilà donc que dimanche je me rends le
coeur lourd à la fameuse marche... Nous garons notre véhicule à
environ un kilomètre du centre de Carcassonne, nous marchons pour
rejoindre le lieu de rendez-vous collectif, place des Jacobins.
Arrivée sur les lieux, je regarde, je lis les pancartes, je vois
quelques drapeaux, quelques têtes voilées, d'autres chapeautées,
d'autres chauves et sans protection, d'autres enturbanées... Une
pancarte tenue par un individu à casquette attire particulièrement
mon regard, elle mentionne : « Tous à poil pour
Charlie! ». Je souris en retrouvant, dans la formule, un peu de
cet esprit, de cet humour, et de ce second degré qui colorent la
ligne éditoriale de Charlie Hebdo. Quand une dame d'environ 65 ans,
juste derrière moi, et s'adressant à son compagnon, soupire
indignée : « Oh lalalala!!!... Tous à poil pour
Charlie... Quelle horreur ! Non, mais je te jure y'en a
vraiment! ». Me retournant vers elle, je m'interroge :
« La pauvre ! Elle a pas compris que personne ne lui
demandait de se déhabiller sur le champ?... », ça y est mon
esprit s'emballait, qu'est ce qui diable semblait l'offusquer à ce
point ? Et mon esprit échaffaudait déjà des hypothèses :
« Est-elle horrifiée à l'idée de s'imaginer nue au milieu de
tous ces autres nus ? Peut-être encore n'a t'elle jamais
prononcé les mots, « à poil », « cul »,
« bite », « couille », « nichon »,
ou moins vulgairement, le mot « nu » sans rougir ?
Ou peut-être n'aime t'elle plus ce corps qui est le sien et qui
viellit inéluctablement? Ou peut-être encore lui a t'on appris que
tout ce qui touche au corps est forcément sale... » Bref,
prise dans mon flot perpétuel de questions en tout genre, et
concluant en moi-même que dans ce contexte pudibon, ben, ça allait
pas être simple de répondre à la question « peut-on rire de
tout? », elle coupa court par cette révélation soudain
éclairée mais surprise: « Ah, oui ?!!!! Peut-être
faut-il le prendre au deuxième degré ?» Je respirais, y'avait
de l'espoir: si elle avait gagné le second degré, peut-être cela
serait il accessible à tous un jour.
Après l'épisode du « tous à
poil! », j'avais hâte que la foule se branle...Oup !...
Pardon... je voulais dire s' ébranle. (Euh... Là, c'était donc du
second degré!). A dire vrai, les bavardages incessants autour
m'indisposaient, j'avais besoin de silence, juste une minute, mais du
silence!...
Nous avancions en
foule compacte et lente, nous nous arrêtions ça et là, fesant une
pause, comme d'énormes brontausores ruminants ... (l'humanité
était-elle vouée à une disparition certaine, nous n'en voulions
sans doute rien savoir, puisqu'à la marche récente pour le climat
nous n'étions que 100.000) puis nous applaudissions comme des
abrutis sans savoir pourquoi. Mado me demanda pourquoi nous
applaudissions. La foule était si nombreuse qu'il nous était
impossible de percevoir ce qui se disait ou, même, ce qui se vivait
au devant du cortège, ainsi, une vague d'applaudissements émergeait
de temps à autre, et quand elle nous atteignait, nous
applaudissions. « Devant » ça a applaudi, j'applaudis,
« derrière » ils applaudiront. Pour le coup, je me
sentais ridiculement conformiste et obéissais sans comprendre
simplement comme pour dire : « je suis là, avec
vous ».
Alors que,
ruminante, j'avançais sans plus espérer la minute de silence (j'ai
l'espoir court, ce qui m'aide souvent à m'ancrer dans la
réalité...), un homme d'une quarantaine d'année se moquait
derrière moi, une femme l'accompagnait qui riait fort, tendant
l'oreille pour savoir le sujet de leurs moqueries si franches, je
constatais consternée que le sujet de la raillerie c'était moi !
(C'était beaucoup moins drôle ! Au secours ! Où était
donc mon second degré?). Là dessus, j'en étais sûre: la
description moqueuse qu'ils fesaient de ma tenue vestimentaire ne
laissait place à aucun doute. Pourtant, je vous le jure (et je
précise avant qu'on ne me pète la gueule!) je ne portais aucun
signes religieux, je n'avais même pas de bonnet, ma tête n'était
pas couverte, enfin je n'avais sur la tête que mes cheveux...
roux,...pitié ne me brûlez pas, je jure devant dieu... (merde là
je m'enfonce!)... Enfin je jure n'être pas sorcière... Bon c'est
vrai, j'avoue, je portais des vêtements clairs (trop clairs?), un
pull en laine avec des poils longs (trop longs?), des chaussettes
longues elle aussi (trop longues?) que je portais au-dessus (trop
au-dessus?) du pantalon (trop long?), et à y réfléchir de plus
près, je ressemblais un peu à « Choubaka » (je précise
que la ressemblance était tout à fait fortuite et humble, car je ne
voudrais pas que les adorateurs de « Star Wars » crient
au blasphème et me pète la gueule à leur tour!). Blague à part,
agacée par l'insistance de leurs moqueries, je finis par me
retourner. Le moqueur essaya d'échapper à mon regard de tueuse
(inutile d'appeller la police, comme tueuse je suis déjà fichée),
mais comme mon regard est précis (des heures d'expériences en tir
de précision), le moqueur ne put fuir, je lui indiquai ma pancarte
collée sur mon sac « Sèm Charlie » (tr : nous
sommes Charlie en Occitan) et par un geste je l'invitai à y
réfléchir. L'incident clos et ma dignité retrouvée, je continuais
à marcher, j'étais un peu « chipotée ». Je tentais
d'apaiser mon ébranlement en méditant sur le sens du concept
« liberté », pas très loin du concept de « tolérance »,
non loin du concept d' « amour », non loin du
concept d' « égalité », lui-même proche de celui
de « fraternité », non loin du concept d' « ouverture »,
et pas fort loin du concept de « laïcité », proche d'un concept plus récent : celui de "Charlie". Face à l'extrême complexité des différents concepts, et étant assez basique, je ne retins que cette chose
simple et je tentai une sortie grâce à l'humour :
« dans tout ces concepts ce qui frappe c'est le son « con » …
Et, une chose est sûre, la connerie ne porte pas toujours de signes
distinctifs, ça doit être pour ça qu'on se la prend si souvent sur
le coin de la gueule ne l'ayant pas vue venir de loin! » Partant du constat qu'elle vient de loin, c'est à dire au-dehors par opposition au-dedans, je me
dis qu'il serait sûrement utile d'habiller tout les cons du même
costume, au moins, le costume offrirait l'avantage de préparer la
défense. J' imaginais donc le costume de « Choubaka »
(Pour les adorateurs de Star Wars, ceci est bien sûr un exemple,
qu'ils n'y voient donc surtout pas une attaque personnelle).
Je continuai donc à
marcher en n'espérant plus, mais en souhaitant, plus simplement, une
minute de silence. (Ne pas confondre ici, le souhait et l'espérance :
le souhait étant un présent que l'on offre à soi ou à l'autre,
quand l'espoir, lui, nous déloge souvent du présent, en nous
projettant dans un futur qu'on espère souvent « meilleur »,
meilleur étant aussi un concept). Je marchais donc, prête à m'offrir
cette minute de silence, quand mes oreilles furent agressées (OUI !
AGRESSEES ! J'ai les oreilles extrêmement sensibles!) par des
voix de femmes qui parlaient fort, très fort,
en fait, en m'approchant de la source du bruit, elles criaient,
à vrai dire, maintenant elles s'engueulaient
et s'égosillaient, ça y est mon
esprit s'emballait à nouveau : « Mais pourquoi elles
crient, je veux du silence, bordel, c'est pas vrai, elles peuvent pas
se retenir, juste aujourd'hui, juste une minute quoi, mais qu'est ce
qu'elles ont? » Un type s'était approché, il essayait de
calmer les femmes. Je m'arrêtai et j'observai la scène sidérée,
atterrée. L'une des femmes, la soixantaine, petit carré court,
jeans, pull et chaussures de marche invinctivait violemment les deux
autres en hurlant: « Mais enlevez moi ces foulards !
C'est un pays laïc ici ! Enlevez moi ces foulards c'est
ridicule, quand allez vous cesser d'affirmer partout votre croyance,
est ce que moi je porte une croix, c'est ridicule, c'est comme si
tout les jours je sortais de chez moi avec un long vêtement et ma
grosse croix dessus! ». Les deux femmes voilées... dans leur
peine, tentaient d'expliquer qu'elles aussi étaient venues poussées par la peine et le désir de partager leur tristesse avec
tout le peuple français. Le ton montait car l'autre n'entendait rien
et continuait à hurler de plus belle ses principes de laïcité.
Moi, je formulais
mon premier voeu de l'année nouvelle : « Je voudrais
tant, juste, une minute de silence! »
En fin de compte, je
rentrais chez moi vers 20H00, le coeur toujours aussi lourd, avec
cette idée absurde mais ce vrai souhait pour tous, comme un présent
possible : « Au lieu d'imposer une minute de silence à
laquelle on ne comprend rien, peut-être pourrait on s'offrir la
possibilité d'expérimenter le vrai silence par un travail en
méditation? » Ainsi pourrait- on vivre parfois quelques
secondes de paix... intérieure.
Bon, j'avoue, j'ai
dérapé une fois de plus : cette idée est une lamentable utopie,
car, sachant à quel point « faire taire » son esprit
quelques secondes pour en devenir le maître est un travail, sachant
que souhaiter se conjugue au présent et que le
présent est le
cadeau, l'on ne pouvait jamais l'offrir
en y ajoutant la formule : « Tiens ! J'te l'offre!
Mais prends- le, prend- le j'te dis! » Et puis, le crayon sur
la tempe, d'ajouter à la victime du cadeau: « Tu vas le
prendre oui, ou je te pète ta gueule? »
Je tentais donc de
faire silence en moi, quelques secondes... Et me trouvant seule et
reliée... je retrouvais le sens de mes orgines, de mon humanité, je
voyais mon voile, celui que j'ai toujours porté, un voile qui
parfois cache mon obscurantisme, parfois il révèle ma conscience,
ce jour là, ce voile était juste celui de mon indiscible douleur
et ma douleur cachait un présent : la souffrance sombre et
ravivée chaque fois que l'on tue et que l'on ne peut supporter la
liberté... d'être, et en même temps cette certitude révélée,
absolue et lumineuse, de l'infini privilège d'être de cette belle
humanité.